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Enquête de Bledson Math : Poki 12 ans, prostituée née de mère prostituée

"JE SAIS TOUT FAIRE AVEC MA LANGUE"

Rue Princesse à Yopougon. Rue des Princes dans la même commune. Mille maquis à Macory ou ce qu’il en reste.
Zone 4, Rue des Jardins au Deux Plateaux. Les endroits de prostitution à Abidjan sont multiples et les lieux célèbres ne sont que la face visible des sites où s’exerce le plus vieux métier du monde. En ces lieux, des gamines. Des fillettes de douze, dix ans. Même huit ans. Nous sommes allés à leur rencontre. Des semaines durant, nous les avons côtoyées, chercher à les connaitre. Nous avons choisi de parler de deux d’elles, Janine et surtout Poki, dont l’histoire décrit l’’environnement de ces mômes devenues expertes dans le plus vieux métier du monde.

Son nom ? On se devait de le taire, parce que mineure mais l’effort n’est pas nécessaire. Elle n’en a pas. « Si vous tenez à mon vrai nom, je ne peux pas vous le dire simplement parce que, je ne connais pas. Je suis née comme ça, sans père. Ma mère même ne sachant pas avec qui précisément elle m’a conçue. »

A la rue princesse où elle vend son charme, Poki est bien repérable. De toutes les gamines qui se prostituent ici, elle est la plus petite. « En taille hein ! Sinon en âge moi-même je sais qu’elle est plus âgée que moi », précise aussitôt Janine qui nous l’a présentée. Janine et Poki sont « les enfants naturelles de la rue Princesse ». Elles ont été conçues ici. Leurs mères étaient serveuses quand elles sont tombées enceintes. « Mais moi, je ne suis revenue ici que quand je suis devenue grande. » Cette phrase nous fait tiquer. La gamine en face de nous, dis , ”je suis ne revenue ici que quand je suis devenue grande”. Grande ?
Mais au fait, tu as quel âge ? Question immédiate.
Douze ans
Et à quel âge tu es revenue ici ?
Dix ans
Et à dix ans tu étais grande ?
Par rapport à Poki, oui
Mais qui donc est cette Poki ?

Comme nous nous sommes montrés très intéressés par son histoire, Janine est allée cherche sa ”vieille mère” Poki. « Si tu veux jouer les étonnés, voici Poki. Elle a été conçue ici, a grandi ici, a appris le métier ici.»
Poki ? En fait c’est son surnom. Elle l’a depuis toute petite. Toute bébé, disons. Sa mère, était serveuse à la rue princesse. Elle amenait sa fillette sur son lieu de travail parce qu’elle n’avait personne pour la surveiller. Plus exactement pour l’héberger. Parce qu’elle n’avait pas de logis. Elle gardait ses habits dans le maquis où elle travaillait et après le boulot, elle se débrouillait pour être emmenée par un homme. Elle se débrouillait pour que son amoureux du soir paye une chambre dans un des hôtels pas vraiment entretenus de la rue des princes et ses environs. Les chambres de ces hôtels étant assez dégelasses, les hommes, une fois satisfaits, rentraient chez eux. « C’est à ce moment que ma mère venait me chercher ».
Poki doit son surnom à la bière que ses frêles mains pouvaient servir : la petite bouteille de Guiness appelée par les amateurs Poki. « Chaque fois que quelqu’un demandait une petite Guiness, ma mère criait ”Poki”, et je partais chercher. Finalement les gens m’ont appelée comme ça. Pourquoi ne pas changer de nom ? « Parce que ça me plait et ça me permet de gagner l’argent. » Elle a conçu tout un marketing autour de son non : « Je dis à mes clients, c’est moi Poki. Comme la bière, je suis toute petite mais dangereuse . On peut me soulever d’une main, me porter vers le haut comme la bière mais je vous conseille de me porter vers le bas ; ça donne plus de plaisir. Plus on me consomme, plus je saoule. Mais attention à ne pas exagérer parce que je peux mettre tout homme groggy. Quand, tu dis ça, ça excite n’importe quel homme. Pas vous Monsieur le journaliste ? »

Tu vois non ?
.. (Si elle savait le dégout à ce moment précis ! Mais le boulot exige dépassement)

Poki a du passer son enfance à la Rue Princesse. Elle n’avait pas de parents maternels vivant à Abidjan et côté papa, néant total. « Je ne connais pas mon père. « Ma mère non plus.» Quand elle est tombée enceinte, la préoccupation de sa mère, n’était pas de chercher le père de sa grossesse mais plutôt « comment s’en débarrasser. De toute façon, elle ne pouvait vraiment pas s’en souvenir. Lequel des hommes qu’elle a connu a du lâcher ce spermatozoïde têtu ? Comment pouvait-elle le savoir ? Spermatozoïde têtu ? Poki dit avoir entendu ça toute sa vie. « Ma mère disait que le spermatozoïde duquel j’ai été conçu est vraiment têtu. Non seulement il a réussi à passer outre la capote, mais il a résisté à toutes les tentatives de curetage. Médicaments modernes, médicaments traditionnels. Elle a avalé des comprimés, ingurgité des pilules du lendemain, s’est purgée avec des écorches, des mixtures de feuilles de savanes et de forêts, sans succès. Elle a fait tout ça mais aujourd’hui elle est fière de m’appeler ma fille. Je dis oh, vous les parents qui vous battez pour faire passer les grossesses là, vous n’avez pas honte quand vous regardez vos enfants ? »
Instinct journalistique ou peur que ma mémoire n’affiche une complicité bien coupable d’avortement ? Toujours est-il que quelque chose me dit de ramener Poki à l’objet de notre entretien, la prostitution. Vite, une question. Comment elle y est arrivée ? Je n’aurai pas le temps de la poser entièrement. « Vous voulez savoir comment j’ai fait l’amour pour la première fois ?
La première fois de Poki ? ça aussi c’est une histoire. « C’est avec un des gars de ma mère que j’ai commencé.»
Maman Poki avait un ami à la Riviera. C’est le seul qui acceptait d’emmener mère et fille à la maison. Un jour, « maman l’a plaqué. Il était au maquis et on devait rentrer ensemble. Vers deux heures du matin, ma mère a dit : j’arrive et elle n’est plus revenue jusqu’à la fermeture du maquis. Son ami est reparti avec moi. D’habitude, je dors au salon mais ce jour là, j’ai dormi dans sa chambre Il a mis un film porno et m’a demandé d’ouvrir la bouche et de faire comme dans le film. J’ai fait ça une fois, j’ai vomi. La deuxième fois aussi.»
Cet homme, va tout apprendre à la petite. « Les autres fois, quand je partais là-bas avec ma mère, quand elle dort, il me retrouvait au salon, me réveillait, me tendait de l’argent me demandait d’ouvrir la bouche. Au fur et à mesure, il mettait un doigt en bas. Puis deux. Un jour il est arrivé en bas directement. Il a commencé doucement, doucement mais quand il finissait, il a fait fort brusquement et j’ai crié fort. Ça a réveillé ma mère.»
L’auteur du viol a du faire souffrir son portefeuille pour étouffer l’affaire. « Ma mère en a parlé à tout le monde au maquis et c’était devenu le sujet de conversation des clients. Sans le vouloir, elle venait de dire à ses clients que j’étais arrivée. »
La mère aurait du ne pas trop évoquer le viol devant ses clients et surtout pas livrer les détails. En évoquant que son ami a commencé à abuser de sa fille par la bouche, elle a provoqué non pas la compassion chez les clients mais l’envie d’essayer la langue de Poki. « Chacun m’envoyait dans un coin noir et je gagnais beaucoup d’argent. En tout cas, avant ça marchait bien. »
Et si justement on parlait de chiffres ? Tarifs ? Recettes ? « ça marche plus comme avant. Les Libanais et les métis ne viennent plus trop ici. Eux ils payent bien. » Bien ? Entendez cinq à vingt mille francs.
Poki et les siennes facturent à la tête du client. Le tarif officiel disons le tarif qu’elles ont toutes homologué est cinq mille francs. « Mais on ne peut pas demander à tout le monde de payer cinq milles. Il y a des clients qui eux même se ”cherchent”. On n’est obligé d’accepter ce qu’ils proposent. On fait même des fois à crédit ». Crédit dans ça ? « mais on va faire comment ? Le type a l’habitude de venir chez toi, un jour il n’a pas d’argent, tu vas le chasser ? Et puis il y a des gens quand tu les vois, ils font pitié. On ne peut pas les chasser »
Pitié ? Poki et les siennes n’ont pas pitié d’elles mêmes ? Nous cherchions une bonne formule qui n’effleure pas leur sensibilité pour poser la question. Mais Poki elle a à coeur de montrer qu’elle maitrise son métier et le marketing qui l’accompagne. « Quand on baisse les prix, souvent on fait comme on est bête mais ce n’est pas çà. Même les Libanais ils font solde. Les grandes sociétés, elles font promo.»
Les filles qui ont leur âge vont à l’école. Le savent -elles ?
Chacun a sa chance dans la vie oooh Tonton.
D’accord vous n’avez pas eu la chance de bénéficier d’études. Mais il n’est pas tard, vous êtes encore jeune
Tonton, tu n’as pas bien compris. On dit que n’est pas tout le monde qui a la chance de trouver du travail. Nous on a eu la chance de trouver du travail sans se fatiguer
Faut -il dire que j’étais stupéfait ? Que j’ai encore ressenti de la pitié pour ces mômes ? Que j’ai fait un speech d’une demie heure environ pour leur démontrer que ce qu’elles font n’est pas un métier et qu’elles gagneraient à reprendre le chemin de l’école. Pour une bonne éducation en vue de trouver un bon emploi et fonder avec de jolis enfants. Ai-je réussi à les convaincre ? Une certitude : j’ai provoqué leur hilarité et des arguments pour me choquer de plus « tonton, école là, y a rien dedans. La tantie qui vend poisson braisé devant notre bureau là, (NDLR elle appelle bureau là où elle se prostitue), elle a BTS. Sa camarade de classe, elle fait travail de bonne (NDLR fille de ménage). Si c’est pour se fatiguer à l’école et puis venir à la rue ici pour vendre poisson braisé, il vaut mieux rester ici en même temps. Il y a des filles mêmes qui viennent se prostituer avec nous pour payer leurs études. C’est bête ça. Tonton, c’est nous on te dit, école là, y a rien dedans, ça gâte enfant » Safroulaye, a lâché, sans se contrôler mon photographe du jour.
Vous dites que ça ne vaut pas la peine d’aller à l’école parce qu’il y a des diplômés que vous connaissez qui chôment ou qui font des petits métiers. Soit. Mais dites moi, les gens qui travaillent dans les bureaux, dans les entreprises, qui enseignent dans les écoles c’est-à-dire les instituteurs, les professeurs, qui soignent dans les hôpitaux c’est à dire les médecins, infirmiers, sage femmes, les gens qui travaillent dans les banques, ces gens viennent d’où si ce n’est des écoles ?
Tonton c’est vrai hein ! nous on n’a jamais vu les choses de cette façon.
Comme il nous est apparu d’avoir marqué un point, il nous avons trouvé propice de parler morale
Ce que vous faites, vous-mêmes savez que ce n’est pas bon. Vous avez demandé par exemple qu’on ne vous photographie pas. Ça veut dire que vous avez honte de ce que vous faites
Tonton non hein ! photo là, c’est pour protéger notre travail.
Comment ça ?
A cause de nos clients gars
Clients gars ? Ce sont des clients fidèles qui entretiennent des relations de ”deuxième ” bureau avec les fillettes. Ils ont certainement un bon enclin à la pédophilie en plus ils ont l’outrecuidance de s’afficher avec elles, en trompant la bonne foi de leur proches. «Souvent on va les trouver au bureau où tout le monde nous prend pour leur petite nièce. Quand on est dans leur bureau, les gens ne soupçonnent rien. On fait le travail proprement et quand on sort ils disent à leurs collègues, ”je vais faire manger ma nièce, j’arrive”. On finit de manger, on retourne au bureau, on fait un peu encore avant de repartir. Un client comme ça, si on met ta photo dans le journal, tu l’as tué » les ”gros clients” payent bien. Des fois au bureau leurs collègues font des petits cadeaux à la ”nièce ”. Quand cela arrive, les gamines se marrent. « On prend leur bureau pour faire notre travail et ils nous payent en plus. S’ils savaient ce qu’on est allée faire là-bas »
Ces filles de joie aiment la joie. Et à Yopougon, la joie signifie beuverie. Alcool, tabac et chewing-gum sont leur matériel de travail.
Le chewing-gum, je sais à quoi sert. C’est pour rester éveiller mais la cigarette et l’alcool, vous n’êtes pas obligées
« Tonton ce n’est pas ça hein ! Nous là, on ne dort pas au travail. C’est avant avant, au temps de Maman de Poki là. Nous on n’est des pros. On sait qu’on travaille la nuit donc la journée on dort bien. Si un client nous prend la journée, quand on rentre on dort jusqu’à ce que le sommeil finisse avant de sortir. On n’est pas comme les Mamans de Poki qui travaillent la nuit et puis le matin elles s’en vont faire afférages.
Vous avez compris, ce n’est pas le grand amour entre ces fillettes et leurs ainées prostituées.
Alors utilité du chewing gum ?
Tonton, nous on travaille beaucoup avec la bouche. L’alcool sert à laver la bouche et le ventre. Le chewing gum, on le mâche pour bien cracher les saletés qui peuvent rester dans la bouche.
Ces gamines ont une réponse à tout. Qu’est ce qu’elles font de leur argent ? « L’argent de la rue reste à la rue ». Leur avenir ? Un jour elles auront un passé, cela, elles le savent. Mais l’avenir ? Elles perdent la verve. Les risques encourus ? Elles invitent à changer de sujet. Seul Ebola les a paniquées. Mais en peu de temps.

IN Fraternité Matin du 13 Janvier 2016

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