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Interview : Jenny Mezile ( Artiste, danseuse, Chorégraphe professionnel)

La beauté et la passion du ghetto

En Afrique, comme en Europe, Jenny Mezile est une artiste de qualité et prospère. Passionnée de la culture, plus précisément de la danse, elle a implanté à Adjamé-Bracodi ( Abidjan), une école de danse spécialisée dans la formation des jeunes désœuvrés et des enfants de la rue. Proche des réalités du ghetto, elle veut donner de l’espoir à ces jeunes et les amener à conquérir le monde. Sa passion et son amour pour le ghetto, font de Jenny Mezile, la mère des enfants des quartier démunis. Rencontre avec une femme aux grandes ambitions pour le ghetto.

Lors de la dernière soirée des Heroes 225, tu as reçu un prix pour tes efforts pour la valorisation et la promotion de la culture. Que représente ce prix pour toi?

C’est le prix de ma bataille. C’est le prix des danseurs, c’est le prix du ghetto, c’est le prix pour tous ceux que je défends. Mes amis. C’est une grande satisfaction de dire aux jeunes de continuer à travailler parce que je pense que chacun mérite aussi un jour, d’avoir un prix de reconnaissance par rapport à son travail.

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Est-ce que tu t’attendais à ce prix ?

Non, on ne s’attend jamais à un prix. Je n’étais pas du tout au courant, on m’a appelé pour me dire qu’on me cherchait et qu’on m’attendait. En tout cas, je suis contente, je suis très fière.

Aujourd’hui tu te bats pour les enfants défavorisés et tu leur donnes ce talent de se faire valoir en danse…

Oui, sur ce secteur-là, il y a beaucoup d’enfants d’Abobo, de Marcory, d’Anoumanbo, de derrière rails, un quartier très difficile, d’un peu partout. Il fallait aussi penser à ces enfants de bas quartier et moi j’ai décidé de moi concentrer pour pouvoir monter ce projet avec ma vision de femme, ma vision de mère. Parce que ces enfants, au-delà de la danse, ont vraiment besoin de tendresse, de confiance en soi.

Ils ont été rejetés parfois même par la famille qui manque de moyens. C’est beaucoup de dignité, beaucoup de courage que ces jeunes-là prennent pour venir à ce rêve qui est une formation où ils auront des diplômes après trois ans.

Qu’est-ce que tu leur apprends comme formation ?

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Dans mon école, on a des professeurs de danse classique. Moi je leur apprends la danse contemporaine et traditionnelle de chez moi ( Haïti). On a un professeur de chant et aussi un professeur de danse traditionnelle ivoirienne, parce que c’est une génération moderne. Beaucoup n’ont jamais été même dans leurs villages, ils sont nés à Abidjan.

Ils ne connaissent pas leurs traditions à proprement dit. Ils voient pleins de choses de chez eux, mais se les approprier, pour savoir, il faut connaitre les noms, les origines. Connaître à quel moment on pratique la danse traditionnelle. Je pense que c’est important de leur donner ce savoir, qui est aussi le leur. Les jeunes doivent se le réapproprier

Combien d’élèves as-tu dans ton école ?

On a une vingtaine d’assidus et une trentaine de manière sporadique parce que le problème c’est qu’ils n’ont pas assez de moyens pour se payer le transport. Ils m’appellent, ils pleurent, ils me disent leurs difficultés. Cet élève qui vient aujourd’hui, ne vient pas demain. C’est pour cela que c’est une école atypique. Je m’adapte avec leurs moyens, leur possibilité et on arrive toujours à rattraper le temps.

Quel est le niveau général d’étude de ces jeunes que tu formes ?

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Ils ont un peu de bagage académique. Certains ont le niveau de la classe de CP1, ou CM1. Des fois, certains n’ont rien. J’en ai un actuellement même qui dort dans la rue ou sur les tables du marché. Mais il vient, il est toujours là avec nous et il s’accroche car il sait que pour sortir de la rue, il lui faut faire quelque chose.

Ton ambition aujourd’hui, c’est quoi ?

Dans 5 à 10 ans, je veux donner une génération de danseurs professionnels et qui peuvent vivre de leur métier, parce qu’ils seront diplômés. Bientôt, je vais voyager avec certains d’entre eux, car j’ai des invitations de partout. Ils iront se former en Allemagne. C’est très important. On ne pourra pas sauver tout le monde, mais si j’arrive à sauver 10, 20, 30, au moins c’est déjà énorme.

L’Allemagne, est-il le seul pays que vont visiter ces jeunes ?

(Rire) Pas du tout. Je voyage partout. Il fallait le temps de formation avec ces jeunes. Il faut qu’ils soient vraiment bons. Depuis que je suis artiste, quand on va à l’étranger, on est toujours les meilleurs. Les danseurs de Paris ne nous font pas peur. Ils dansent sur la pointe, nous on danse sur les genoux.

C’est pour dire qu’il n’y a pas d’infériorité par rapport à ça. L’expérience et la qualité de notre travail vont militer en notre faveur. Pour le moment, tous n’ont pas encore cette qualité parce qu’ils sont à l’école, ils apprennent. Mais beaucoup d’entre eux sont déjà prêts et c’est pour cela qu’on va voyager bientôt.

Quel est le nom de l’école de formation ?

« Les pieds dans la marre » qui est une métaphore. Justement, mes pieds sont dans la marre mais ce n’est pas écrit qu’ils y restent. Il faut que j’enlève tous ces petits qui sont dans la marre pour qu’on puisse marcher sur les vrais tapis rouges, parce que c’est là, leur véritable place. L’école existe depuis 2 ans.

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Parles nous de toi, qui est Jenny ?

(Elle éclate de rire) Jenny est une Haïtienne qui a voyagé de Haïti à Paris et qui a décidé de venir s’installer en Cote d’Ivoire, ce pays que j’adore. Je suis une artiste engagée. Je suis ici (en Afrique) depuis 1998 et depuis 2006. j’y vis de manière définitive.

Je n’ai quasiment pas d’affinité avec Paris, je suis Franco-Haitienne, et j’ai décidé de donner ce qu’il me reste de vivre, à l’Afrique. Parce que j’ai toujours refusé cette marginalisation de la race noire avec les gros nez, les grosses lèvres et la couleur. Tout le monde se ‘‘tchatcho’’, tout le monde fait de faux cheveux.

Je veux dire, j’ai besoin de cette reconnaissance africaine que Cheick Anta Diop a cherché pendant longtemps jusqu’à sa mort. J’ai besoin de cette dignité là que Mandela a voulu donner et j’ai besoin de cette représentativité que Barack Obama a essayé de donner pour dire qu’un noir peut être président, même des Etats-Unis. Donc voilà ce qu’il reste. J’aimerais bien pouvoir donner à mes gouvernements africains aussi. J’ai des modèles mais pour le moment, ce n’est pas vraiment le cas. Tout est mélangé, ils sont divisés, l’occident les divise et on est incapable de s’unir pour faire avancer son pays.

Parles-nous de cet amour pour la Côte d’ Ivoire…

Au-delà de la Côte d’Ivoire, c’est un amour pour l’Afrique. Je considère que si quelqu’un lit tous les jours des anecdotes qui glissent sur le net, qu’on nous compare à des singes. En 2018 il y a un gros, qu’on continue de faire à la race noire. On continue aussi d’exciser des femmes africaines, on continue aussi de donner en mariage les enfants de 10 ans, 13 ans, des jeunes filles, à des vieux, de voir toute cette guerre autour de la religion musulmane, je trouve qu’on a beaucoup de travail à faire. Et un président ne peut pas sauver l’Afrique ni sauver la Côte d’Ivoire. C’est tout le monde ensemble qu’on va réussir à sauver notre continent. On va y arriver en mettant un petit peu de soi, un petit peu de générosité, un petit peu d’amour, pour son prochain. Et ce n’est que comme ça que çà va avancer. Moi je suis pour ce changement-là, donc je participe à travers mon travail.

Parlons précisément de ton attache particulier avec la Côte d’Ivoire…

J’ai épousé un Ivoirien qui m’a fait découvrir son pays. J’y suis arrivé, et je me suis dit j’y reste. Et ce n’était même pas quelque chose de discutable, je pouvais bien aller en Haïti mais pour moi, Haïti c’est une ile. Moi j’ai besoin d’un continent. Et comme je viens de cette terre là, pour moi c’est un retour aux sources. Il fallait que ça soit clair. Même les Haïtiens le savent. Je transporte Haïti avec moi. Haiti c’est moi. Je n’ai pas de problème de pays, j’ai un problème de négritude et c’est là-dessus que je me base. On nous a tellement appris à se diviser qu’on est incapable de se reconcilier. Il faut qu’on prenne confiance en soi pour ne pas avoir à jalouser quelqu’un.

Tu es Haïtienne mais avec le sang africain…

(Rire) Au-delà même de tout, mon histoire est Africaine. On ne peut pas réduire la race noire à une ile de 25 000 km carré. Vous imaginez combien la Côte d’Ivoire fait ? Pas du tout ! Moi j’appartiens à la terre, je n’appartiens pas à une île ou un pays. Et, si je veux bien mettre les choses dans leur contexte, c’est l’Afrique.

Parles-nous de ton amour pour ce ghetto que tu valorises tant…

Dans le ghetto, je suis bien. Ici, les gens se reconnaissent en moi. Le fait d’aller vers ces gens, dans les quartiers difficiles, pour eux, c’est leur buzz à eux. D’autres même viennent me dire quand ils font des photos avec moi, les gens ne veulent pas croire. C’est quand même rien. Moi je ne suis qu’une femme dynamique qui cherche des solutions pour échanger des choses. Ici je suis bien. Je vois la pauvreté et ça me pousse à changer les choses. J’ai ouvert des comptes bancaires pour plusieurs personnes dans le ghetto. La banque est venu ouvrir des comptes pour nos danseurs, car chaque danseur a son compte bancaire.

Je pense qu’il faut les sociabiliser dans le bon terme pour qu’ils puissent savoir utiliser de l’argent quand ils touchent leurs cachets. Le ghetto c’est les oubliés et moi, je vais vers les oubliés parce que je les aime. Et j me sens bien parce que je viens aussi d’un pays où la pauvreté domine. Haiti est le premier peuple noir indépendant depuis 1804. C’est comme si on n’avait pas le droit de battre Napoléon Bonaparte. Et les Nègres qui dirigent, ces Haitiens là, sont pires que les colons. Qui juger maintenant ? Chacun sauve sa tête et moi, je suis en train de sauver ma tête dans le ghetto et sauver quelques-uns avec moi.

Nous sommes à Adjamé-Bracodi, est ce que tu vas aller vers les enfants des autres ghettos, Abobo, Koumassi, Yopougon et autres ?

Bien sûr ! Mon rêve c’est que, une fois qu’on aura les moyens, on puisse ouvrir des succursales, d’autres écoles, un peu partout dans les communes.

Mais que cela se fasse dans les ghettos, ça c’est ma particularité. On m’a proposé des terrains à Bingerville, à Cocody, des espaces magnifiques, mais ça n’a pas d’importance.

Ça n’aura pas l’impact que je cherche. Ici dans mon école quand on fait les cours, les enfants sont assis, tu ne sais pas ce que tu vas leur donner comme rêve. Moi je ne les chasse jamais. Les cours se font devant le public. Les portes sont ouvertes, ça joue dans la cour, il y’a du bruit, c’est vraiment un grand bazar.

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Moi j’aime ce bazar. On ne peut pas être tout le temps à la maison dans des salles climatisées. J’aime ce bazar, il faut les laisser, je ne les chasse pas. Ça leur donne du rêve. Tu ne sais pas qui va devenir artiste, peintre. Ils me voient à la télé, ils sont fiers de moi. Même le commissariat du 27e arrondissement, qui est juste à côté, c’est ma famille. Ce sont mes amis qui sont là. Ils viennent, ils passent, souvent même ils font du bruit, ils demandent pardon. C’est toujours de bon cœur. Les policiers nous aiment, on n’a pas de problème. Quand il y a la musique, pour écouter les PV, pour taper, ils ont des difficultés. Mais je leur explique, ils savent ce que je fais comme travail et c’est vraiment une belle collaboration.

Quels sont les artistes que tu as eu à coacher ?

J’ai eu à faire pas mal de choses. La mise en scène du spectacle de Feue Césaria Evora, Youssou N’Dour. J’ai été aussi associée à la CAN 2002 au Mali, j’ai aussi dirigé la Coupe du Monde de taekwondo, et aujourd’hui la directrice artistique de M Groupe de Molare et Pat Sako, Billy Billy, La Fouine, plein de gens importants avec qui j’ai eu à travailler.

A travers mes spectacles, je me suis présenté un peu partout en Europe. Ma dernière création c’est ‘‘Ma vie en rose’’ que nous allons essayer de présenter au Masa parce qu’on a des programmateurs qui viennent des Etats-Unis et de l’Europe aussi.

Avant ‘‘Ma vie en rose’’, quel spectacle as tu présenté ?

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C’était ‘‘Rue princesse’’ avec une grosse tournée qui est une idée originale de moi-même, de faire une pièce sur cette rue qui n’a pas été mise en scène depuis sa création. Avant de faire la pièce, je me suis renseigné et j’ai roulé ma bosse à la rue princesse durant 5 ans avant de créer la pièce. Je connais tout de la rue princesse. Les ghettos, les recoins, les prostituées, les marchands qui vendent, qui cherchent leur vie aussi dans ces trucs. C’est un chaos magnifique. Chacun a sa place. Chacun vit dans cette Afrique et lui donne le temps. Pour vivre heureux, que le gouvernement et les mentalités changent

KOKOA Stéphane

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