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Qui est Francois Konian ? On l’appelait le «Boss »

François Konian vient de décéder. Encore une figure tutélaire de la culture qui nous quitte. Après Papa Wemba, tombé récemment sur la scène du festival des musiques urbaines d’Anoumabo, au moment où disparaissait Liadé Dikael sur les bords de la Seine. Des décès encore frais dans nos mémoires. Dans la foulée, Pépito, le batteur de Magic System a lui aussi pris rendez-vous avec la mort. Sans oublier les deux danseurs de Debordo Leekunfa, également fraichement décédés, il y’a juste une poignée de jours. Pol Dodoaussi. C’est à croire que la mort a trouvé un terreau fertile dans le monde du spectacle, en Côte d’Ivoire. Qui est François Konian, le dernier de cette nomenclature macabre ?

On l’appelait le «Boss». Patron, l’homme l’a été toute sa vie. Il tient cette appellation des membres du groupe Woya, dont il est le fondateur, en 1985. Avant-gardiste, l’homme l’était également dans sa vision du show-biz panafricain. Au troisième étage d’un bâtiment situé au cœur de Treichville, où est logée sa radio (Jam Fm), se trouvent toutes les reliques rattachées à l’immense parcours de ce producteur d’œuvres phonographiques. Au rez-de-chaussée du dit bâtiment, est encore stocké tout le matériel de la première usine de fabrication de disques vinyles de Cote d’Ivoire. On y trouve pèle mêle, quelques instruments de musiques entreposés. En plus des enceintes acoustiques, gisent également dans cet espace des centaines de disque vinyles entassés. Ces pièces de musée traduisent éloquemment le parcours de cet homme très tôt passionné par la musique. Lors d’une de nos conversations, il nous exprimait cette passion débordante qu’il avait pour la musique. Et l’une de ses fiertés qu’il aimait à raconter, c’est bien l’unité de production phonographique qu’il a réussi à installer en Côte d’Ivoire. C’était à l’époque où tout ou presque, concernant l’industrie du disque ouest-africain,  était le seul apanage du Nigéria. « Ce dont mon père et mon oncle Konian Banny furent fiers, me concernant, c’est quand je suis allé leur présenter le premier disque sorti de l’usine que je venais d’installer au bas du bâtiment où nous sommes en ce moment. Il y’avait une cérémonie de réception où ils étaient tous regroupés. Je suis allé avec un tourne-disque pour une démonstration. C’est seulement à partir de ce jour que ma famille à commencer à comprendre mon choix de m’investir dans la musique. Sinon, autant mon père que mon oncle Banny étaient carrément opposés à ce choix », nous a-t-il confié, à la veille de sa candidature à la municipalité de Yamoussoukro. C’est justement dans la capitale économique que cet «ingénieur culturel » a installé radio Jam, la première radio commerciale privée en Côte d’Ivoire, dont les capitaux sont détenus par des ivoiriens.

Producteur, patron de la première usine de disque ivoirienne

Avant la création de Jam Fm, François Konian aura ouvert les sentiers modernes du show-biz ivoirien, au regard de son immense parcours. Quelques repères clés de sa carrière, pour mieux comprendre la pertinence de son pedigree.

Les premiers disques d’Ernesto Djédjé, au milieu des années 70, en passant par le tout premier 45 Tours enregistré par Bailly Spinto, en 1979, portent la marque de la Société Ivoirienne de l’Industrie du Son (SIIS), propriété de François Konian. Que dire du tout premier album de Bébé Manga, auteur du ‘’tubesque’’ « Amio », sortie en tout début des années 80. Sur Bébé Manga, voici une autre confidence faite par Francois Konian. « J’ai découvert Bébé Manga au cabaret, la Canne à Sucre. Elle ne chantait que des standards, mais avait des difficultés au niveau de la justesse de la voix. Pour enregistrer son album de quatre titres, il a fallu que je lui adjoigne Antoinette Konan. C’est elle qui lui a appris quelques ficelles au niveau de sa technique de chant. C’est Antoinette Konan qui a même écrit les autres titres, à part ‘’Amio’’, qui figurent sur le disque de quatre titres enregistrés à Paris».

La liste des œuvres produites par François Konian est longue. L’on pourrait néanmoins y ajouter le premier disque de Nayanaka Bell, celui de Tshala Muana, la reine du Mutuashi, de Dapley Stone, etc…

Dénicheur de talent hors norme, François Konian aura participé à l’écriture de l’histoire de la musique urbaine ivoirienne, avec le tout premier disque du boy-band, RAS. Le trio composé de Guy Vincent Kodja (Turbo), Bony Dagrou (Power) et de Mian Désiré (Scorpio) a incontestablement été le détonateur de cette culture musicale urbaine, devenue dynamique au fil des années, avec le premier disque de RAS,  «Agnangnan », signé par François Konian, courant 1989.

C’est cependant avec le groupe Woya que l’homme s’est véritablement fait connaitre des Ivoiriens en 1985. Mu par son désir d’explorer des sentiers nouveaux, Francois Konian a jeté une bande de jeunes à Divo, à la faveur de la politique du retour à la terre prônée par le gouvernement ivoirien. L’idée matrice de cette politique des gouvernants était d’inciter la jeunesse de l’époque, à s’initier à l’agriculture, moteur essentiel de l’économie ivoirienne. En fait de retour véritable à la terre, Konian trouvait un prétexte  pour « embastiller » la bande à Marcellin Yacé dans un campement où ils n’avaient pour distraction que la pratique de la musique. La suite de l’histoire, on l’a connait. Le groupe Woya a détonné et bouleversé l’échiquier musical ivoirien, voire panafricain. Les David Tayorault, Tangara Speed Ghoda, Marcellin Yacé, Tiane, pour ne citer que ceux-là, doivent tout à l’école Woya.

Si Papa Wemba a été affublé du pseudonyme « Foridol » (formateur des idoles), l’on peut à souhait attribuer à François Konian, la casquette dénicheur de talents. Tant dans le domaine de la chanson que celui de la radio, il aura contribué à révéler des noms et des as du micro qui comptent aujourd’hui dans le paysage audio-visuel ivoirien. Joel Amos Badi, Mirelle Anti, Wypee (qui officie actuellement sur une grande radio à Ouaga) sont des purs produits de l’école Jam.

Hélas, l’homme est parti. Sans avoir savouré la reconnaissance nationale pour sa grande œuvre. Maintenant qu’il a disparu que deviendra tout ce qu’il a bâti, pierre après pierre ?

Moses Djinko

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